Transctipt : entretien tripartite sur la cuisine japonaise

2021/7/8
Entretien tripartite entre
M. Cyril Molard, chef d'un restaurant français deux étoiles "Ma Langue Sourit",
M. Hajime Miyamae, propriétaire d'un restaurant japonais "Kamakura" et
Mme Kyoko Nishikawa, cuisinière de l'Ambassade du Japon
Le 12 mai 2021
à la résidence officielle de l'Ambassadeur du Japon
 
Mme. Kyoko Nishikawa (Nishikawa) : On va commencer maintenant, deux petites questions :  Chef Cyril a coopéré avec JETRO (Japan External Trade Organization) pour promouvoir « Wagyu » (le bœuf japonais). Que pensez-vous du Wagyu comme ingrédient, et que pensez-vous de la cuisine japonaise ?
M. Cyril Molard (Molard) : J’ai découvert le Wagyu grâce à JETRO. Et quand j’ai découvert le Wagyu, j’ai vraiment trouvé que c’est un produit très intéressant par le gout et la texture, mais que tous les morceaux sont vraiment très, très gouteux. Dans le bœuf européen, tu n’as pas toujours tous les morceaux gouteux. Dans le bœuf Wagyu, tout est excellent. Et pour moi, c’était vraiment très impressionnant. Surtout c’est intéressant de travailler avec des morceaux de bœuf un peu moins cher que les morceaux Wagyu très élevés, de faire aussi une très belle cuisine. La cuisine, ce n’est pas simplement que des prix, les produits chers, c’est aussi de savoir travailler avec des produits moins chers. C’est ça !
Pour la cuisine japonaise, j’en ai envie d’aller au Japon, mais je disais, comme tous les cuisiniers comme moi, passionnés européens, on a tous était influencé par le Japon. Par l’acidité, la digestion, le sel, le dressage des assiettes, très net, très clair, très ciblé. Donc les Japonais nous ont beaucoup influencés dans la cuisine contemporaine moderne européenne, énormément influencé. Et ils nous influencent encore beaucoup. Donc c’est vraiment des gens qui nous ont apporté beaucoup des choses dans les assiettes.
Je pense que la légèreté, ça c’est important maintenant. Que les gens mangent bien, que ça soit léger, et la digestion est très importante. Des beaux produits bien légers, bien cuisinée, bien assaisonné, ça c’est très important. C’est pour ça que la cuisine française est en train d’un petit peu de s’en aller, la cuisine riche avec du beurre et de la crème, c’est un peu mi-côte, c’est dommage, mais les gens ont besoin un peu plus de légèreté.
Nishikawa : Le bœuf Wagyu contient beaucoup de graisse, donc lorsque je le sers dans la cuisine japonaise, je l'associe souvent à du wasabi, du citron, du radis râpé, etc. pour le rendre plus léger. 
Dans la cuisine française, la viande est souvent associée à une sauce au beurre et au foie gras pour la rendre plus riche. Comment l'avez-vous trouvé ?
Molard: Oui, ça c´était la cuisine française avant. Maintenant, le bœuf Wagyu peut être aussi associé avec le vin rouge. On faut toujours trouver un équilibre. C’est pour ça que le Japon apportait intellectuellement une vision de légèreté au niveau de la condition du travail, de la cuisine, mais j’ai pensé au Nord de l’Europe aussi, comme les pays nordiques, au niveau des pickles et de lactofermentation. La seule chose qu’on peut garder de la cuisine française, vraiment très important pour nous : c’est la sauce. On fait peut-être des garnitures moins riches, mais nous, en tout cas, on garde « la sauce française » : le jus de bœuf, jus de veaux, jus d’Agneaux. Et, d’ailleurs, maintenant dans les assiettes gastronomiques des restaurants françaises souvent, on a moins de sauce dans les assiettes, mais c’est beaucoup plus concentré. Mais il FAUT de la sauce. C’est très important pour nous.
En fait, la sauce c’est le lien entre la viande et le vin. Donc, je pense que tu peux boire du vin rouge avec le Wagyu. (rigole) La sauce est vraiment très importante pour nous ! C’est vraiment LE lien. Une belle viande, il faut une belle sauce et une belle garniture. Mais la sauce est le très important. Il y a des restaurants qui ne mettent plus des sauces, nous ont avons encore beaucoup des sauces, encore très français dans la technique. Les sauces c’est très, très important.
Enfaite, moi je pense que la sauce et la viande, c’est comme le baba au rhum et la chantilly. Quand tu manges un baba au rhum, tu as envie de manger la chantilly. Quand tu manges de la viande, tu as envie de la mettre en peu dans la sauce, pour manger la viande. La sauce c’est un peu le dessert de la viande. C’est la gourmandise de la viande. Et quand tu mets le pain dans la sauce, c’est comme au Japon, il y a des traditions, nous en France, on met le pain dans la sauce, c’est vraiment la gourmandise.
Nishikawa : Le « Kamakura » offre le Wagyu. Quel type de sauce vous utilisez ?      
M. Hajime Miyamae (Miyamae) : Pour nous, comme commerçant, on ne faut pas perdre la matière première. On doit toujours acheter les produits frais. Nous avons essayé de Wagyu, avec la sauce, bien sûr, et le citron, comme Mme. Nishikawa a dit. Mais finalement, c’est une viande dont le gout est extraordinaire par rapport aux autres viandes. Sel, poivre, tac, tac. C’est le meilleur ! Aussi avec la sauce de soya ou wasabi… pour moi, c’est la meilleure chose.
Tu sais que la cuisine japonaise, on a quatre gouts : surtout, on parle du « umami ». C’est le gout unique. Ils utilisent le tomate ou le poisson sèche, etc. pour avoir le umami. Mais les européens surtout utilisent, comme la cuisine française traditionnelle, la graisse de la viande, qui fait le gout. Donc c’était le « umami » que les Japonais utilisent. Et pour nous la cuisine japonaise, on mange toujours du riz, blanc et nature. Donc, pas trop de sauce : Le produit naturel.
Molard: Un tout petit peu de sauce !
Miyamae : Un petit peu ! Mais pas beaucoup !
Molard: La différence entre M. Miyamae et moi, c’est que je veux la sauce ! Mais pas trop de sauce, un petit peu de sauce ! Mais, tu sais, tu mets un beau Wagyu, saisi comme tu as dit, tac, tac, sel et poivre, et tu mets une belle sauce de bœuf bien faite, un tout petit peu !
Miyamae: Bien sûr. Mais le sukiyaki et le shabu-shabu, c’est autre chose !
Molard &  Nishikawa : (rigolent)
Miyamae: Le shabu-shabu, c’est tout simple : tu as le umami du kombu, à la base, il n’y a rien, juste le bouillon, et puis tu saisi, avec deux sauces différentes, la sauce de soya avec du ponzu, et la sauce de sésame un peu de sucré, c’est qu’est-ce qu’ils préférèrent.
Molard : Le shabu-shabu, on a fait, quand j’ai fait déguster le Wagyu à des gens, j’ai fait un bouillon champignon à la vanille. C’est très technique française, très nordique, etc. Les gens qui les ont mangés, ils n’ont jamais mangé le Wagyu avec la vanille, en fait c’était wow !
Miyamae: C’est toujours la découverte, la cuisine ! M. Molard, il est dedans, il est technicien, moi, je ne suis pas technicien. Moi, je dois garder mon identité.
Molard: Il a raison, sur le produit et la tradition.
Miyamae: La cuisine japonaise, c’est de ressortir avec la technique le meilleur gout de la matière première, donc, pas de sauce. La cuisine française est opposée de ça. Ils utilisent la sauce pour les mieux mariés.
Molard : Pour lier les choses, oui. Mais pas trop de sauce ! Avant, en France, on mettait la sauce dans toute l’assiette, il y a 20 ans. Maintenant, on mais un tout petit peu de la sauce, et ça suffit ! C’est juste comme un condiment, tu manges la sauce, un petit condiment, un pickles, et la viande est l’élément principale. Le Japon nous a vraiment appris à diminuer, de plus concentrer. C’est une différence, on est plus ciblé sur le gout. C’est grâce au Japon, on a appris un peu de limiter les choses. Mais en gardent l’identité, tu vois ?
Nishikawa : M. Miyamae, gère le restaurant japonais « Kamakura » ici au Luxembourg depuis plus de 30 ans (depuis 1986). Que pensez-vous de la diffusion de la cuisine japonaise au Luxembourg jusqu'à présent ?
Miyamae: A l’époque, la cuisine japonaise n’était pas encore à la mode comme maintenant. La cuisine japonaise était considérée « une sorte de cuisine asiatique ». En France, il y avait déjà une deuxième vague de mode, premier c’était le Sukiyaki, ensuite le Teppanyaki, qui était créé aux Etats-Unis, et le yakitori. Fin des années 80ns, c’était un peu la naissance des restaurants avec le poisson cru, vers les clients français. Alors, qu’en Luxembourg, la cuisine japonaise ?
Donc, j’ai essayé d’abord de faire distinguer, que la cuisine japonaise avait rien à voir avec la cuisine chinoise, ni vietnamien, qui était déjà installé au Luxembourg 15-20 ans avant.  Nous avons essayé, de servir un peu de toutes les sortes de la cuisine japonaise. Alors en principe, si tu es spécialisé en Tempura, tu ouvres un restaurant tempura. Si tu es spécialisé de sashimi, c’est une autre chose. Nous avons essayé un peu de tous. Et puis, c’est la manière de manger. Expliquer les sauces, expliquer comment tenir les hachis (baguettes), etc. C’était ça au début.
Tout au début, 50% des clients utilisaient des couverts. Maintenant, il y a des jours où personne ne les demande.
Il y a beaucoup des Luxembourgeois, ou des clients étrangers, qui prennent beaucoup mieux que les Japonais. Parce que j’ai les introduit ! (rigole)
Molard : C’est l’ambassadeur de la cuisine japonaise ! (rigole)
Miyamae: Mais non, mais non. (rigole) ça changeait, il y avait la vague de la cuisine japonaise, qui nous a beaucoup aidé, de faire comprendre. Il y a 32 ans maintenant, les gens nous critiquaient: « c’est trop cher, c’est très peu ». J’ai été beaucoup critiqué. Nous avons essayé de fait petit á petit. Le poisson cru a représenté que 3% des chiffres des affaires. Et ce 3% était consommé par les clients japonais. Actuellement, plus de 50% est à la base de poisson cru. Pas seulement le sushi, mais des autres plats aussi. C’est-à-dire, nôtres dépenses de l’achat des matières premiers, c’est le poisson cru. Moi, je vois c’est un peu la révolution de la cuisine japonaise au pays. Maintenant les gens comprennent, qu’une petite boite de sushi peut être 15 Euro par boite. Et nous, nous avons un assortiment de dizaine de sushis pour 28 Euro. Ça m’a beaucoup aidé, la deuxième vague.
Molard : Il y a un autre truc très important pour le « Kamakura » et pour nous. Il y a deux guides importants en Europe : le Guide Michelin, et le Guide Gault&Millau. Et le jour, où le « Chef de l’Année » était le chef du « Kamakura » au Gault&Millau, c’était très important pour nous. Parce-qu’ils ont mis le focus sur un restaurant japonais. Le meilleur restaurant de l’année : un restaurant japonais. Et ça, pour tout le monde, c’était « wow ! ».
Miyamae : C’était la reconnaissance de notre cuisine. C’est-à-dire la cuisine japonaise est devenue une partie de la cuisine : non pas français, italien, chinois, mais il a aussi pu entrer (dans la guide Gault-Millau).
Molard : Maintenant, tu as la cuisine française, japonaise, italienne, espagnole, nordique ; c’est au même niveau. Pour toi, la cuisine française n’est plus au-dessus, mais tout est pareil et au très haut niveau. C’est pour cela que le Japon est maintenant au même niveau que les très grandes cuisines, il n’y a aucun souci là-dessous. Elle est même supérieure. Cela est grâce aussi au travail. Mais il faut faire cela sur trente ans ; c’est beaucoup.
Miyamae : C’est aussi un peu la faute des Japonais et de notre mentalité : nous sommes spécialistes d’importer des choses et nous sommes spécialistes d’améliorer les choses (rires). Donc on copie et on l’améliore et c’est devenu une partie de la culture japonaise. Mais exporter notre savoir-faire, notre culture – parce que si j’ose dire, la cuisine est une partie de la cuisine japonaise -, cela a pris beaucoup de temps. Je me rappelle toujours, une dame a réservé un mois avant l’ouverture et elle m’a laissé préparer le plat que je voulais. J'ai servi un plat qui a pris 45 minutes à préparer et la dame a dit : "Non, je ne mange pas de poisson cru" et est partie. J’ai servi une langouste de Tezukuri vivante pour un client Japonais. Le monsieur vient au comptoir et dit : “Il ne faut pas faire ça (aux animaux)”. Alors je l’ai demandé : “Monsieur, est-ce que vous mangez des huîtres ?” Il a dit “bien sûr”. J’ai dit : “Les huîtres, vous les mangez mortes ?” Il a dit : “Je ne sais pas” J’ai dit : “Elles sont encore vivantes et c’est pour cela qu’elles sont si délicieuses.” Il dit : “Ah bon ! Je ne savais pas.” Vous voyez, il faut souvent faire comprendre au client et ce n’est pas toujours facile.
Molard : Et cela prend du temps. Maintenant la cuisine japonaise est vraiment au même niveau que toutes les autres cuisines. Il n’y a pas de différence, c’est très haut niveau.
Miyamae : Imagine-toi que chaque fois que tu sers un Sashimi, tu dois courir pour avertir le client qu’il ne fait pas mettre trop de Wasabi là-dessus. Mais maintenant, tout le monde le sait. C’est aussi grâce au Manga japonais, par exemple. A cause des Manga, les jeunes apportent au restaurant leurs parents, leurs grands-parents et ça nous a beaucoup aidé aussi. Pour beaucoup, la cuisine japonaise c’est les Sushi ; mais par exemple dans le Kaiseki, tu ne trouves pas de Sushi. Mme Nishikawa, vous ne servez pas de Sushi dans le Kaiseki, la cuisine que vous avez appris. Il faut montrer aux gens, que la cuisine japonaise n’est pas seulement le Sushi.
Molard : Il n’a pas que des Sushi, il y a plein, plein d’autres choses.
Miyamae : Avant, il n’y avait pas d’image du Japon et les gens n’y connaissaient rien. Maintenant, les gens commencent à connaître notre culture. Ils commencent aussi à la copier. Les enfants voient les caractères de Manga manger du Ramen ou du riz très rapidement, ils essaient de faire la même chose dans mon restaurant. Alors, il faut intervenir, et comme cela, la première fois qu’ils vont voyager au Japon, ils sauront que ce n’est pas comme cela qu’on mange! C’est donc cela, les grands problèmes de la cuisine japonaise d’ici et de maintenant.
Molard : C’est aussi un problème de la mondialisation. Souvent les gens qui font des sushi ne sont pas des Japonais.
Miyamae : Cela n’est pas un problème. Si on va dans un restaurant français de trois étoiles à Tokyo, là non plus, tout le monde n’est pas Français. Mais ils essaient d’apprendre et ils veulent comprendre la cuisine.
Molard : Je suis d’accord, il faut essayer de comprendre la cuisine. Parce que comprendre comment on mange, c’est aussi comprendre la culture.
Nishikawa : Je suis au Luxembourg depuis sept ans, et lorsque je suis arrivée, j'étais déterminée à servir aux invités ma spécialité, la cuisine traditionnelle Kaiseki. Cependant, au fur et à mesure que je mangeais dans les restaurants et que je communiquais avec les invités, je me suis naturellement orientée vers des plats aux goûts luxembourgeois. Le Luxembourg accueille des étrangers originaires de 170 pays différents et, bien qu'il soit enclavé, on y trouve une grande diversité d'ingrédients et de cultures alimentaires. Dans une telle situation, l'attrait de la cuisine japonaise ne réside pas seulement dans les plats à base de viande et de poisson, mais aussi dans les plats végétariens, qui sont principalement des légumes.
Molard : Au Luxembourg aussi, il y a de plus en plus de gens qui préfèrent les plats à base de légumes et il faut adapter la cuisine à cela. Au Japon ces plats existent depuis longtemps. Des plats à base des légumes n’est pas un problème pour vous. En France aussi, nous nous sommes re-ciblés vers cela. Nous ne voulons pas seulement faire des plats végétariens, mais on veut être flexible pour pouvoir faire des menus dégustations avec que des légumes et on doit avoir les capacités de faire des plats avec seulement des légumes. Pour ma culture, c’est important d’avoir aussi des protéines, mais nous sommes maintenant capables de faire des menus avec des légumes. Tous les restaurateurs maintenant doivent être capable d’avoir la flexibilité de faire que des légumes ou de la viande et du poisson ; mais les légumes doivent être aussi bons que la viande et le poisson. Avant, la cuisine végétarienne en France, c’était une salade mixte et des pommes de terre. Maintenant les restaurants sont obligés de réfléchir comment améliorer l’assiette en végétarien. En tout cas, les légumes sont très importants chez nous, mais je voudrais également continuer à préparer des protéines, comme des poissons etc, c’est important pour moi. L’assiette des légumes doit être aussi belle que le reste.
Miyamae : C’est pour cela que dans la cuisine japonaise, il y a du riz et aussi le tofu pour nous apporter les protéines.
Nishikawa : Dans la cuisine japonaise, il a des ingrédients fermentés, comme le Miso et des pickles. Est-ce que c’est le cas dans la cuisine française ?
Molard : Bien sûr, nous avons la moutarde, les fromages etc. Cependant, beaucoup de cuisiniers Français utilisent dans leurs plats le Miso. Le Miso est devenu un ustensile, mais nous ne l’utilisons pas aussi bien que vous (rires). Le Miso et les plats fermentés sont devenus important, aussi bien que les légumes lactofermentés. La plupart des restaurants font maintenant la lactofermentation, par exemple pour les légumes un peu abîmés, nous les mettons dans des bocaux pour les fermenter. Cette semaine, par exemple, nous avons fait aussi des graines de moutarde lactofermentées pour la prochaine carte. Nous travaillons beaucoup là-dessus, mais pas autant que les Japonais. C’est devenu une partie de la cuisine aussi : lactofermenation, acidité, condiments, etc.
Molard : Nous avons fait des graines de moutarde acides, comme des condiments, que l’on va servir avec du poisson. Nous voyons que le poisson avec ces graines est suffisant et essentiel. C’est aussi le Japon qui nous a appris cela, pour faire des choses plus « nettes ». Nous rajoutons quand même une petite sauce, nous ne pouvons pas faire autrement (rires).
Nishikawa : Quelle est la clé pour promouvoir et valoriser la cuisine japonaise au Luxembourg à l’avenir ?
Molard : Premièrement, en la respectant. C’est-à-dire quand on va manger chez Kamakura, ou dans les restaurants très prestigieux, on doit respecter la tradition et aussi essayer de la comprendre. Nous savons que nous avons du retard dans notre cuisine par rapport à vous, par exemple dans la fermentation, mais il faut accepter que le Japon soit bien en avance et en France, nous avons beaucoup à apprendre. Déjà le fait d’accepter de comprendre et de se dire “je ne sais pas, mais je veux apprendre” est déjà le respect envers la cuisine japonaise. En France, pendant longtemps, on a pensé que c’est la meilleure cuisine du monde, et que seulement la cuisine française comptait dans le monde, alors il y a plein de cuisines dans le monde qui sont supers. Pour moi, un chef Japonais et un chef Français sont au même niveau. C’est un vrai travail intellectuel.
Miyamae : Pour moi, si nous voulons que la cuisine japonaise soit correctement exportée, correctement présentée, nous devons changer nous-mêmes. Nous sommes assez fermés, et nous sommes tellement fiers de notre culture. Maintenant, la cuisine japonaise ne doit pas être forcément préparée par un Japonais. A Tokyo, si on regarde dans les restaurants étoilés, ce sont des chefs Japonais et non pas Français. Alors nous devons ouvrir nos portes, accepter les jeunes cuisiniers qui ont envie d’apprendre la cuisine japonaise et il faut les accueillir. Et les bien accueillir. A Kyoto, on a commencé depuis que notre cuisine est classée (comme patrimoine culturel immatériel) par l’UNESCO, mais c’est seulement une ou deux personnes par an. Ce n’est pas suffisant. Je reçois souvent des rapports de la Ministère de Culture pour leur donner des idées sur des événements de cuisine japonaise par exemple à Paris ou à Londres, avec beaucoup de succès. Pour moi, cependant, ce n’est pas la cuisine japonaise. Tu paies dix euros pour du saké et du sushi et beaucoup de monde y vont. Avec autant de budget, le Ministère pourrait envoyer un professeur à l’école (d’hôtellerie) à Diekirch, par exemple, pour faire des cours de cuisine japonaise pour apprendre les bases. A cause de notre taux de natalité bas au Japon, très peu de gens veulent devenir cuisiniers et surtout cuisiniers traditionnels. Alors, il faudrait ouvrir nos portes aux étrangers qui ont envie d’apprendre et qui peuvent transporter notre culture. Certes, ils ne sont pas Japonais, mais j’aimerais bien voir un Luxembourgeois qui a fait des stages à Kyoto et qui a un restaurant japonais. En France aussi, on devrait commencer à faire cela.
Nishikawa : Certains aliments japonais sont chers, tels que les sushis, les tempuras et le bœuf wagyu, mais il existe aussi des aliments plus courants et des aliments gastronomiques de qualité B. Au Japon, l'expression "gourmet de catégorie B" fait référence à la nourriture bon marché, commune et délicieuse que l'on consomme quotidiennement, plutôt qu'à la cuisine de catégorie A préparée avec des ingrédients chers et un service de premier ordre.
Molard : La cuisine, c’est cela : ce n’est pas seulement le produit cher. Tu peux faire un très beau plat avec du maquereau. Tu n’es pas obligé d’acheter du caviar et du foie gras. La cuisine, c’est cela aussi.
Nishikawa : Aujourd'hui, je vais vous présenter certains de ces plats gastronomiques de qualité B. J'ai été inspiré par des plats que le chef Molard servait dans son food truck.
Molard : Je suis très intéressé. Moi, cela ne me dérange pas de faire de la cuisine “catégorie B”. Faire de la bonne cuisine de catégorie B, c’est un vrai cuisinier.
Miyamae : Par exemple, tempura aujourd’hui c’est plutôt haut de gamme. Mais le tempura, à la base, c’était préparé dans la rue. Le sushi, au début, était pour les ouvriers.
Nishikawa : Ces plats peuvent être vendus par des food trucks, et ils sont populaires en tant que cuisine familiale, appréciés par les enfants et les adultes.
Molard : La gastronomie, maintenant, doit être pour tout le monde. Dans un restaurant, tu vois des gens qui ont beaucoup d’argent, et il y a des gens qui économisent pour aller au restaurant, pour célébrer un anniversaire, pour les enfants, pour l'anniversaire de mariage. Le restaurant c’est pour tout le monde. Il ne faut pas aller trop loin dans les prix. Ce n’est pas que pour les gens très riches, la gastronomie. Même avec deux-trois étoiles, le restaurant peut être accessible. Evidemment, le prix peut être plus haut à cause du personnel etc, mais il faut trouver le juste milieu. Il ne faut pas que cela soit trop ostentatoire, trop riche. Pour moi, la gastronomie, c’est pour tout le monde. Au Japon, cela doit être pareil, je pense. Une bonne cuisine ne doit pas dire produit très cher, il faut penser différemment, surtout maintenant.
(L'exposé a été suivi d'un défi culinaire portant sur le Takoyaki (boulettes de pieuvre), le Kushikatsu (brochettes frites) et le Kara-age (poulet frit).)
 




(De gauche à droite : Mme Nishikawa, l'Ambassadeur Okuyama, M. Molard, M. Miyamae et Mme Okuyama)